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"Fare Mundi" ou : faire semblant de faire monde ?

"Fare Mundi" ou : faire semblant de faire monde ?

« Fare Mundi » ou : fairesemblant  de faire monde? 

àla Biennale de Venise, 2009

 

A l’heure où je pose ces mots, nombreuxcollègues ont déversé leur mécontentement sur la plus récente et 53eédition ce qui arrive finalement à chaque fois, alors que les artistes n’y sontpas pour grand chose. Ce phénomène vient certainement de l’insatisfactionchronique du monde de l’art qui crée le besoin d’aller voir la Biennale deVenise et celui aussi d’être témoin (j’y étais) et d’avoir l’impression departiciper à la reconnaissance des artistes que crédite inévitablement cetévénement en particulier.

Pour ma part, c’est certainement plusdans la prétention du titre que je m’arrêterai et dans un regard plutôtconstructif sur cette 53ème biennale où de remarquables projets nousont été proposés dans un contexte où les critiques sont de plus en plus grandesautour de la notion de biennale. Fort heureusement des instances comme celle de la biennale de Sao Paulo ou dela Kunsthalle de Bergen font la part belle à l’analyse et je l’espère aussi àde nouvelles propositions[1].

Daniel Birnbaum, commissaire de cettedernière édition a choisit la thématique générale de « Fare Mundi »(faire monde). Si ce titre très générique pourrait impliquer celui qui regarde,malheureusement aucun dispositif de négociation ou d’échange n’était proposédans l’articulation de l’exposition ou qu’exceptionnellement par certainsartistes que j’évoquerai plus loin. Il est donc bien logique qu’on se sente unpeu en dehors (du titre) quand on a l’impression de vivre dans le même monde,d’une façon ou d’une autre et que peu d’éléments sont mis à disposition... Pourma part, ce titre me plaisait car j’avais imaginé (suis-je bête !) avantmême de me rendre à Venise que cette Biennale donnerait enfin la possibilitéd’associer des mondes et des usages différents, d’en montrer la riche diversitéet de donner l’espoir de participer à cette dynamique du « fairemonde ».

Les artistes comme les auteurs emblématiques d’une vraieouverture intellectuelle comme Edouard Glissant ou Sarat Maharaj deviennentainsi les illustrations obligées dans le catalogue de cette 53 Biennale dont lamarge entre leur analyse du monde et celle des œuvres mises en exposition estun gouffre… C’est ainsi que ce manque de cohérence entre les intentions« faire monde », et la réalité aurait pu commencer d’aboird par uneanalyse poussée de ses contemporains (et pas que les pères que le commissairereplace bien évidemment selon des références de l’art moderne autour de  la figure majeure de Ponthus Hulten par ex.),en prenant en considération les changements et aussi la capacité d’invention dumonde habité par des personnes qui font le monde aujourd’hui… « FareMundi » aurait dans ce cas pu être tout simplement un postulat poétique or cela n’est jamais évoqué/assumé ? Cela aurait pu être aussi l’idéed’envisager d’aborder sous toutes les formes possibles du « FaireMonde », de façon éphémère, virtuelle ou non? Pourquoi ne pas avoir renducompte du bouillonnement, des failles, des dérèglements climatiques, duconstant déplacement des personnes ou des contradictions du monde dans lequelon vit ? Ces formidables challenges n’ont été qu’ évoqués dans lecatalogue selon une certaine histoire de l’art récente des cinquante dernièresannées en Occident, et non autour de notre époque d’émergence où les repèreséconomiques et sociaux ont changés. Peut-être ne parle-t-on pas du mêmemonde ?…..Je vis dans celui où les mélanges culturels sont incessants, oùles gens vivent ensembles avec leurs différences et doivent construire tous lesjours de nouvelles solutions. Un monde où les artistes doivent se battre pourproduire dignement leur travail, où les commissaires d’expositions ne sont pasreconnus et où les marchands doivent user de toutes leurs convictions pourvendre le travail des artistes avec lesquels ils travaillent.  Je vis dans un monde où scénographes etarchitectes sont mieux rétribués que les artistes qui sont finalement à lasource de leurs propositions. Tout ce petit monde ayant inévitablement besoindes uns et des autres, pour « faire monde », négocie ensemble etc’est en cela que de nouveaux modèles et façons de montrer l’art pourraientêtre évoqué et envisagé dans une biennale aussi importante que celle de Veniseet aurait remplacé le cynisme avec lequel on emprunte aux philosophes leursmétaphores sans mettre en exergue les sources de leurs réflexions. Pourquoi nepas avoir proposé de travailler différemment dans un monde où penserglobalement et agir localement fait sens pour beaucoup de gens ?

Dans cette biennale peu de travaux àl’exception d’exceptionnels dessins de Gordon Matta-Clark, de Marjetica Potrcet la très belle installation de Thomas Saraceno qui évoquent la question del’environnement. Fort heureusement les installations des très prometteursartistes Att Poomtangon, Bestué/Vives, Anawana Haloba ou Anya Zholud et lesvénérables pionniers des nouvelles façons de concevoir le monde, comme GeorgesAdéagbo, Thomas Bayrle, Öyvind Fahlström, Yona Friedman, Lygia Pape, Huang YongPing, Chen Zhen assument réellement de la façon dont on fait le mondevirtuellement, spirituellement, utopiquement, politiquement oumétaphoriquement. C’est pourquoi je n’oublie pas non plus les œuvresparticulières d’Aleksandra Mir, de Simon Startling, ou Pascale Marthine Tayouqui plongent le spectateur dans la question du faire (craft) et de latransmission synchrone du monde dans lequel nous vivons.

De cette grande machine de la 53e Biennale il n’y avaitdonc que très rarement la notion de « faire monde », sauf dans lescas de la librairie conçue par Rikrit Tiravanija ou celui la caféteria conçuepar Tobias Rehberger ou certaines installations exceptionnelles comme cellesde : Teresa Margolles[2],Fiona Tan[3],Ming Wong[4],João Maria Gusmão et Pedro Paiva, Shaun Gladwell[5],Dorit Margreiter[6],Roman Ondák[7]ou de Steve McQueen[8]qui ont œuvrés in-situ chacun à leur façon dans un esprit de partage et detransmission de mondes en train de se faire comme le souligne le philosopheinvité à répondre dans le catalogue de l’exposition, Sarat Maharaj quiparle du « désir de voir dans le monde une plus grandehétérogénéité » [9].Est-ce pour cette raison que dans un monde qui cautionne l’économie de Dubaï« basée sur le viol systématique des règles de l’OIT et qui refuse designer la Convention des Nations-Unies sur le droit des travailleursmigrants » [10]la Biennale de Venise accepte d’offrir une plate-forme culturelle de visibilitéjamais égalée à United Arab Emirates [11]ainsi qu’à la proposition de Adach, Platform for Visual Arts in Venice[12] ?Ces deux projets offraient des visions relativement consensuelles sur dessituations sociales qui nous concernent tous.

C’est aussi peut-être pourquoi l’absence de respect del’être humain génère la notion de peur, d’insécurité, d’ignorance qui comme parle plus grand des hasards vient aussi envahir tout à coup à grand succèsl’exposition collatérale « The Fear Society »[13]comme si la menace des différences de classes sociales ne venait pas finalementrenforcer ce qui semble exister depuis toujours ? Ces coïncidencesn’échapperont donc pas à ceux qui voudront bien voir que Daniel Birnbaum aconçu son projet « comme une constellation de sentiments », où ons’aperçoit en fait très vite que les œuvres, aussi exceptionnelles qu’ellespuissent être, s’accumulent dans l’espace, les unes derrière les autres. Onattendait mieux et surtout moins de cynisme dans un monde à construireensemble.

 

 

CBF, Saint-Ouen, le 7 septembre 09


[1]http://www.bbc2009.no /

[2] www.mexicobienal.org

[3] www.fionatanvenice.nl

[4] www.mingwong.org

[5] www.autraliavenicebiennale.com.au

[6] www.biennale09.at

[7] www.sng.sk

[8]www.britishcouncil.org/venicebiennale

[9] « PhilosophicalGeographies », Sarat Maharaj, copyright Artforum International

[10] Mike Davis, « Le Stade Dubaï du Capitalisme », ed. LesPrairies Ordinaires, 2007, p.37

[11] www.ueapavillon.org

[12] www.adach.ae

[13] www.thefearsociety.eu

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