No images to display.
Sorry, this entry is only available in French.

« PARCEQUE », Marseille 2013

PARCEQUE

« PARCEQUE », Marseille 2013

—2013.09.29

PARCE QUE, un autre regard sur la notion d’espace public ?

La conjonction PARCEQUE est le titre général d’un projet réalisé sur les Hauts de Mazargues dans le cadre des Quartiers Créatifs de Marseille Capitale européenne de la Culture. Cette conjonction de subordination propose d’introduire une éventuelle explication qui répondrait à la question du pourquoi ? Mais en fait pourquoi quoi ? Je vais ici essayer de parler des intentions et réalisations de ce projet en essayant de le mettre aussi dans une perspective plus large que celle déjà donnée par l’événement marseillais 2013.

PARCEQUE ne donne pas de réponse, mais agit plutôt comme un levier pour l’imagination et pour expérimenter autrement la relation au contexte. PARC évoque l’espace public par excellence et propose l’idée que ce lieu possède d’autres critères à inventer. La notion de PARC se propose donc d’interroger ce que serait la dimension culturelle qui existe de fait dans ces quartiers dits « sensibles » et comment intervenir artistiquement si on imaginait que c’était un PARC? Les artistes sont donc partis du postulat qu’assumer l’existant était déjà très riche et que ce qui manque c’est finalement les moyens de s’en rendre compte. Ils se sont dit aussi qu’il fallait en déceler les éléments plastiques et culturels, là où à priori ce lieu en est dépourvu. Pour les artistes, c’est donc le regard qu’on pose qui va permettre de reconnaître le potentiel plastique et public de ces espaces excentrés du centre-ville.

PARC est l’abréviation de Pratiques Artistiques Réalités Complexes, le dispositif initial qui a répondu à une commande de différents organismes publics à l’artiste plasticien Stefan Shankland qui a invité trois artistes à travailler avec lui sur ce projet ambitieux. Erik Göngrich, et Benjamin Foerster-Baldenius sont architectes et artistes et Boris Sieverts se définit comme artiste marcheur. PARCEQUE évoque le désir d’actions pensées collectivement qui ont été posées à partir de l’intitulé PARC . PARC a muté en fonction des réflexions menées pour devenir PARCEQUE qui est donc constitutif du postulat fixé au départ et assure ainsi sa continuité et cohérence lexicale.

PARCEQUE est le fruit de dix huit mois de recherche qui a impliqué en amont les habitants (et tous ceux1 qui ont souhaité se prêter au projet) dans des relations et réalisations tangibles. Cela a d’abord débuté par des rencontres lors de déambulations informelles en mai 2012, que ce soit autour d’un banc public ou d’un chantier en train de se faire jusqu’en novembre 2012. Ces échanges et constructions se sont concrétisés de mai à juin 2013 durant quatre semaines d’activation à partir d’un endroit chargé d’Histoires, puisque jusqu’en 1966 cet endroit était le cœur d’un campement de réfugiés2.

Les auteurs de PARCEQUE n’ont pas cherché à démontrer quelque chose de plus que l’idée de repenser comment un espace délaissé peut potentiellement devenir un lieu qui met en relation des mondes qui ne se connaissent pas nécessairement. Les habitants ou passants n’avaient pas forcément imaginé se croiser là, sur ce non-lieu du rond point Vaucanson. Sans se substituer aux services sociaux, sans non plus à chercher à obtenir un résultat participatif à tout prix, les artistes ont donné forme aux souhaits exprimés d’une expérience partagée, celle du mieux vivre publiquement dans les Hauts de Mazargues.

PARCEQUE a été mené par ces artistes qui ont des pratiques pluridisciplinaires qui ont tenté de changer d’attitude face à la situation des quartiers sensibles3). Comme le souligne Stefan Shankland : « Le programme des actions s’est déroulé en complémentarité entre nous et non pas dans une vision fragmentée et disparate de nos pratiques artistiques. On a fait le constat qu’il n’y a pas vraiment de lieu public, sauf au supermarché où il est possible de se poser (en consommant bien sûr). Le manque de représentation globale et de cohérence du quartier a donc été le détonateur du projet, voir le moteur de notre recherche. Lorsqu’il y a ni logique urbaine, ni représentation, finalement est-ce que ce n’est pas là que se situe la place où l’artiste peut construire quelque chose au service d’un projet d’intérêt public? On a proposé de créer du lien là où la fragmentation urbaine nécessite de retrouver une cohérence, tout en proposant une qualification différente ». Les auteurs se sont placés à l’inverse de ce qu’on attend d’un artiste en général dans l’espace public où il est communément entendu qu’il va apporter de « l’agrément » à une situation défavorisée. Ici, PARC a tout d’abord proposé d’inventorier les lieux selon une certaine typologie4et immédiateté : « où estce qu’on pourrait se poser pour parler tout simplement avec quelqu’un sur un banc public»?

PARCEQUE a proposé aux citoyens de les faire bénéficier de leurs recherches en démontrant qu’un espace public fonctionne si les rencontres potentielles ont bien lieu et qu’on a envie qu’elles aient lieux dans ces contreespaces que Foucault5 nomme de la sorte: « On vit, on meurt, on aime dans un espace découpé, bariolé, avec des zones claires et sombres, des différences de niveaux, des marches d’escalier, des creux, des bosses, des régions dures et d’autres friables, pénétrables, poreuses. Or, parmi tous ces lieux qui se distinguent les uns des autres, il y en a qui sont absolument différents : des lieux qui s’opposent à tous les autres, qui sont destinés en quelque sorte à les effacer, à les neutraliser ou à les purifier. Ce sont en quelque sorte des contreespaces ». C’est donc bien dans ces lieux détournés, que les artistes ont initié une démarche qui se situe en contre attente du cahier des charges habituel d’intervention dans l’espace public. Ils ont reformulé la commande pour privilégier un processus d’émancipation pour faciliter la rencontre. Créer les conditions de l’espace commun a donc été ici un défi, même si cela semble le plus banal, c’est le cœur du projet et de ceux qui cohabitent avec ces contreespaces.

Méthodiquement, les artistes ont ainsi établit une liste de 101 généreuses propositions à l’issue du temps d’observation des Hauts de Mazargues. Ils ont impliqué le tissu associatif et périscolaire à mettre en place les propositions les plus appropriées « Mazargues, les Baumettes ou encore Sormiou n’ont jamais été des lieux privilégiés où les Marseillais désiraient se rendre », comme le soulignent les artistes6. Si le quartier de La Cayolle soufre d’un déficit de reconnaissance comme il a été développé dans plusieurs publications remarquables 7

Une présentation du projet PARC sur le site du programme de Rénovation urbaine à Marseille. http://www.marseille-renovation-urbaine.fr/la-soude-hauts-de-mazargues/le-nouveau-visage-de-lasoude-hauts-de-mazargues-251.html associées durant la mise en place du projet, PARCEQUE a proposé d’essayer de placer les personnes qui font les lieux -les habitants- au cœur du projet artistique. Il s’agissait de transmettre l’histoire proche par des publications et plans mis à disposition afin de déjouer les a priori associés à la sous-qualification de ces quartiers qui perdurent ici mais aussi ailleurs. Ce qui est intéressant c’est comment un projet ponctuel aussi spécifique s’est inscrit positivement auprès de populations qui ont été sollicitées et qui ont enrichit et participé avec engouement à son devenir.

Dans les allers-retours passés avec les acteurs du projet, les artistes ont construit d’autres modalités qui viennent nourrir le champ de l’art auquel chacun de ces quatre artistes appartient de près ou de loin. S’il s’agissait dans les années 70 d’amener l’art au quotidien ou plutôt le quotidien dans l’art, les auteurs disent ici que les «intentions du projet ont été de réaliser les actions dans une certaine fluidité d’action à associer à certains projets dit d’œuvre totale (Gesamtkunstwerke)». Les artistes se sont octroyés une certaine latitude communément tolérée à l’artiste dans l’espace public s’il en respecte les données. Dans une certaine complémentarité plastique, ces quatre complices ont adopté une certaine neutralité –qui a mit aussi l’égo de chacun de côté- afin de proposer une autre vision du territoire. Les artistes ont agit dans une certaine éthique au service du projet inédit et éphémère PARCEQUE la situation l’exige. Des moments privilégiés de transmission ont eu lieu qui ne s’écrivent pas qu’avec des mots ou des images à l’arrêt. A titre d’exemple, la nourriture avant d’être consommée était présentée avec attention aux autres, au regard de chacun, identifiée à partir de ce que les gens avaient aussi à dire et à échanger.

Le projet s’est ainsi réalisé dans un certain pragmatisme propre à John Dewey8, qui s’inscrit dans une pensée du processus : dans la réflexion et dans le monde, tout est continûment « in the making », en train de se faire. Du coup, les idées, les critères moraux, esthétiques ou politiques ne constituent pas des données éternelles. Ils résultent d’échanges et sont en perpétuelle évolution. La dynamique centrale de cette démarche est de permettre de sortir des ensembles clos. Au lieu de figer l’homme, la nature, la science, la société et l’artiste dans des sphères étanches et fermées sur elles-mêmes. Dans cette logique, si on considère que l’œuvre d’art est un système ouvert : elle s’adresse d’abord à chaque individu. PARCEQUE renvoie à l’unité de l’individu comme à l’universalité de sa réception ; elle nous parvient comme une vision singulière, individuelle, de la traduction des potentialités de notre environnement.

Pour cela les artistes ont décliné en fonction de leurs compétences et savoirs des activités qui allaient de la promenade matinale à l’idée de « faire revivre » la mémoire des pierres. Ils ont construit un bar ouvert, celui du Rond Point, face au centre commercial. Il a été proposé de partager de manière conviviale des spécialités culinaires intitulées autour d’un dispositif « Chez Toi » en associant les personnes qui le souhaitaient à les réaliser sur place. Dans le même registre de la découverte de ses espaces publics, il y a aussi eu « Parc », pour découvrir l’existence de lieux exceptionnels au cours de promenades le long du canal de Marseille par exemple. Parallèlement il y aussi eu les « Tables dans le vague », placées dans différents endroits du quartier qui conviaient les gens à se retrouver dans des lieux mal identifiés. Il y a aussi eu un atelier de construction pour la sculpture de la « Pierre Tombée », ainsi que la réalisation de lettres géantes comme sur les flans des collines d’Hollywood pour requalifier les lieux, un signe différent de revendication territoriale dans l’espace public. …..A la manière de Maurizio Cattelan qui a inscrit Hollywood à Palerme en 2001. Il avait réussit une véritable opération de sensibilisation à la déchèterie de Palerme en y opposant en lettre géante « HOLLYWOOD ». Ici ce n’est pas sans ironie que les artistes ont choisit d’y apposer le mot « CAYOLLYWOOD», en référence à la pollution de certains véritables coins de paradis de ces quartiers laissés à la merci d’abus les plus divers et aux scandales médiatisés qui y sont associés. Ici, le bus de collectionneurs n’est pas venu, mais les enfants et personnes9 invitées ont pris la mesure de la réalité10 et du potentiel du quartier que PARCEQUE a identifié. C’est en cela que le geste artistique de « CAYOLLYWOOD » est un point de repère….est un signe de fierté et de ralliement comme le « bar du Rond Point », qui a été tout le long de la résidence le haut lieu de rencontres informelles pour refaire le monde autour de ce qu’on a envie de modifier ou d’améliorer dans l’espace public.

Les artistes se sont inspirés d’histoires locales, comme celle de la « Pierre Tombée », qui a permit par sa popularité associée à sa valeur plastique d’être reconstruite en bordure du rond point. Cet objet déplacé a apporté une nouvelle interprétation du paysage et de ses usages à proximité du Parc naturel des Calanques. La « Pierre Tombée » était un objet invisible parmi les rochers, la déplacer lui a donné une place centrale, comme un signe ponctuel qui rappelle une époque où le quartier était constitué majoritairement de cités provisoires.

Si les pratiques et postures dogmatiques du monde de l’art enferment souvent l’art dans l’art, sans générer d’aller-retour avec le contexte dans lequel il s’inscrit, ici, j’ai pu constater que les prises avec le réel dans ce contexte bien que parfois inconfortables, ont été nourries d’interactions exigeantes pour les deux parties en question, participants et artistes.

Ce mode d’intervention artistique fait aujourd’hui débat en France, mais aussi au-delà de nos frontières11, car il change le rapport à l’art et participe à la démystification de la position de l’artiste contemporain. Le monde de l’art ne s’est certainement pas encore donné suffisamment les moyens d’avoir les outils critiques pour valoriser la qualité de notre rapport à environnement public, justement ce projet pourrait faire l’objet d’une plus grande recherche à ce sujet. PARCEQUE a apporté une valeur ajoutée à la place qu’on veut donner au contexte dans lequel on se trouve. Même s’il n’y a pas eu de production que l’on peut assimiler à des œuvres d’art, il y a œuvre : celle de se donner les moyens de formuler le besoin de sortir de sa propre condition, qui concerne autant l’habitant, le passant que les commanditaires du projet. C’est donc bien dans ce mode opératoire de transmission que cela a fonctionné. Les artistes se sont astreints à dépasser les codes inhérents à ces quartiers et de ce qui est convenu d’y réaliser lorsqu’on évoque la notion d’espace public. C’est donc bien en cela qu’il y a eu un projet innovant. Pour moi, le projet est devenu œuvre artistique à partir du moment où, de ces propositions auto-adressées, ils ont su en retenir les 12 les plus cohérentes au contexte et les ont appliquées jusque dans les moindres détails12.

Pour conclure, c’est donc bien à partir des intentions de ce cahier des charges que les œuvres ont pu naître et aussi parce que le projet est un concentré de temporalités diverses et anachroniques qui se rejoignent.

PARCEQUE est le lieu de crises où ont été impliqués différents faisceaux de causalités et de différences qu’il en a résulté un agencement, un montage, soumis aux lois d’une subjectivité assumée collectivement. C’est ainsi aussi à lui, l’artiste qu’incombe le courage de ce regard sur l’espace public, comme le souligne la philosophe Cynthia Fleury 13 : « Ainsi, l’injonction au courage rappelle qu’au cœur des affaires publiques l’instance du moi reste prioritaire, l’instance privée, l’intime au sens où son fort intérieur est convoqué. Il n’y a pas de cité valide sans souci de soi. Pas d’intérêt public sans implication ni convocation du moi. Cela ne signifie pas que le moi détienne l’exclusif et exhaustif des affaires publiques, mais que, en tant qu’irréductible aux autres et potentiellement convocable, il est le socle sur lequel s’édifie l’intérêt collectif ».

Cécile Bourne-Farrell, Saint-Ouen le 4 oct.-13 / 12 Fév. 2014

↑ 1les étudiants de l’Ecole d’architecture de Marseille, par exemple↑ 2De 1945 à 1966, plus de 37.000 personnes ont été transvasées par le camp dit Grand Arénas, d’autres sont restés ici à La Cayolle et y ont construit leurs vies. http://books.openedition.org/cjb/169?lang=fr↑ 3Et qui bénéficie du dispositif de l’Anru (agence nationale pour la rénovation urbaine↑ 4classification par éléments : minéraux, métaux, formes, etc↑ 5Michel Foucault, Les Hétérotopies, France-Culture, 7 décembre 1966 ↑ 6Doc A4-06, compléter ici ↑ 7Ici les mentionner : Esprit de Babel ainsi que deux articles sur le projet PARC. L’un paru dans La Provence, l’autre dans une revue publiée par MP13. http://parc-mp2013.blogspot.fr. Aussi dans la rubrique « Ils ont parlé de nous » vous pourrez écouter une interview de Stefan réalisée par Radio Grenouille au J1. Le blog du comité de quartier (CIQ des Hauts de Mazargues), http://hautsdemazargueslacayolle.blogspot.fr Le site de Marseille – Provence 2013 http://www.mp2013.fr/quartiers-creatifs/stefan-shankland/Une présentation du projet PARC sur le site du programme de Rénovation urbaine à Marseille. http://www.marseille-renovation-urbaine.fr/la-soude-hauts-de-mazargues/le-nouveau-visage-de-lasoude-hauts-de-mazargues-251.html↑ 8Expérience et nature, de John Dewey, traduit de l’américain par Joëlle Zask (ed.Gallimard). http://www.lepoint.fr/grands-entretiens/john-dewey-philosophe-du-pragmatisme-19-07-2012- 1490061_326.php↑ 9les personnalités de la Capitale de La Culture qui se sont déplacées se sont trouvées à porter les lettres de la proposition « Cayollywood »↑ 10Maurizio Cattelan écrit « Hollywood » au-dessus d’une décharge de Sicile, où il a invité la fine fleur de l’art au pied des grandes lettres blanches, cf. Article LE MONDE, 11.06.01.↑ 11« Artificial Hells, Participatory art nd teh politics of spectatorship », par Claire Bishop, ed. Verso, 2012 ; p. 178 (« Community Artists are distinguishable by their attitude towards their place of activicts in the life of society ». Claire Bishop dit « Même si l’art auprès de certaines communautés n’a pas fait l’objet d’analyse avec l’Arts Council en Angleterre et a été réduit à une dépréciation chronique synonyme de compassion déplacée, voir de traitement ridicule pour ne pas avoir touché les critères artistiques ».↑ 122 ce qui peut aussi être observé dans certaines images prises qui méritent aussi d’être prises en considération. Ces explorations créent je crois aussi d’autres ouvertures pour le développement de leur projet artistique↑ 13« La Fin du Courage », ed. Fayard, 2010

Download document 1Download document 2Download document 2Download document 2Download document 2